samedi, 06 décembre 2008
Barbey, un Maistre
Par Albertine B.
Notre article ne se donne pour ambition que de rapporter et restituer le contenu de la communication de monsieur Pierre Glaudes (Université Paris IV) à propos de l’héritage de Joseph de Maistre chez Barbey d’Aurevilly. Cet exposé s’annonce pour nos lecteurs source de réflexions intéressantes sur la conception anti-moderne de la littérature chez l’auteur normand. Il a eu lieu dans le cadre du colloque du bicentenaire de la naissance de Jules Barbey, à Paris III, le 1er décembre dernier.
On sait que les détracteurs de Barbey lui reprochèrent ses préjugés gothiques. Pour Pontmartin le critique par exemple, notre normand est un auteur qui « pense comme monsieur de Maistre et écrit comme le Marquis de Sade ». L’ambiguïté existante entre un Barbey scandaleux de rectitude et un Barbey scandaleux d’immoralité ne forge en réalité qu’un seul scandale. Mais c’est l’exigent héritage maistrien qui nous intéresse ici.
Des connivences idéologiques, Maistre et Barbey en ont, les deux principaux événements funestes pour l’un comme pour l’autre dans l’histoire de France étant la Réforme et le siècle des Lumières. Rien d’étonnant de la part d’anti-modernes, mais il convient de le rappeler pour comprendre ce qui les unit, et faire de la Révolution la manifestation satanique et la défaite de la morale contre laquelle se dresse leur vérité. Défaite de la morale pour les deux auteurs. Défaite du bon goût, également, pour Barbey d’Aurevilly.
Face au XIXe siècle qui lui déplait et le désarme, il apparaît effectivement nécessaire à ce dernier d’inscrire ses œuvres de fiction dans un temps mythique, mais encore de s’armer de Maistre contre le « rabais des libres penseurs et des libres industriels ». Il écrit encore à propos de l’auteur des Soirées de Saint-Pétersbourg : « Les causes perdues lui prennent plus fortement le cœur que les causes triomphantes », célébrant son héroïsme à contre-courant de l’histoire. Ce que Barbey intégrera à son tour, en faisant des chouans du Chevalier des Touches, des êtres héroïques non pas dans les actes et les victoires, mais dans la sage conscience qu’ils ont déjà de leur défaite face à l’histoire. Le Chevalier des Touches n’est, de ce point de vue, qu’une longue descente dans les Enfers de l’histoire moderne qui passe.
Mais loin de se borner à une vision pessimiste de l’histoire, la pensée anti-moderne de Barbey héritée de Maistre puise sa force dans un ordre métaphysique dont la manifestation principale se trouve être la loi de l’éternel retour. Cette puissante croyance du retour des siècles, cette théologie catholique poussée à l’absolu est en elle-même une négation de l’ordre moderne, de la notion d’évolutivité. A Barbey revient alors l’audace de caractériser les ambitions d’Hegel et des philosophes à système de son époque d’ « Orgueil des petits Nabuchodonosor de la cuistrerie ». De même, écrira-t-il dans Un Prêtre Marié : « La science curieuse est une science menteuse ». Ainsi est-il bon pour l’esprit humain de maintenir une certaine dose de mystère. Rappelons-nous alors la messe de l’abbé de la Croix-Jugan dans L’Ensorcelée, où s’exprime tout le fantastique aurevillien, vécu comme vrai et en marche contre le réel. Le vrai opposé au réel : c’est là le ressort de sa littérature, et la preuve que Barbey ne pouvait comprendre des écrivains explicatifs et laborieux comme Zola (ou Flaubert, qu’il juge si injustement et de manière incomplète). Sa littérature n’est pas moderne, dans le sens où elle n’est jamais contemporaine. Et face à la dangereuse illusion de l’orgueil, l’inexplicable présence du surnaturel finit d’asseoir les récits aurevilliens dans l’assurance qu’ils ont d’être de la littérature, au-dessus du réel.
Autre caractéristique de l’influence de Maistre, s’ajoute au fantastique la nécessité pratique (donc morale) de l’expiation et du sacrifice. Pour Barbey, qui puise cette nécessité pour ses romans dans la pensée maistrienne, il n’y a « rien de meilleur, de plus parfait et de plus beau » que la souffrance expiatrice. Un Prêtre Marié illustrera à merveille cette nécessité : Calixte souffre à la place de son père, pour racheter ses péchés. A l’individualisme moderne s’oppose alors une solidarité dans la souffrance. Véritable économie sacrificielle d’un autre temps sans doute, d’un temps rêvé, catholique et flamboyant, où le mot de « communauté » avait un sens. La communauté, son alliance, sa solidarité est la seule chose qui lutte contre le mal abyssal, incompréhensible, le châtiment qui n’a de raison que sa fatalité. Ces thématiques maistriennes, Barbey les intègrent et les met en image.
Mais l’héritage est également formaliste. En effet, la dette esthétique de Barbey à Maistre est immense : le style de Maistre est pour Barbey un « clou d’or quand il n’est pas de diamant ». Pour l’un comme pour l’autre, la moralité de l’artiste est dans la véracité de sa peinture. Ainsi, Barbey a tout le loisir de faire éclore, à travers son travail, un idéal de beauté classique aux accents maistriens. Ce qu’il recherchera le plus se trouvent être la précision, l’élégance et la netteté, soit une parfaite adéquation de la pensée et de la formule, ce qui ne nous permet pas de détacher l’esthétique du sujet. Que Barbey se place contre les réalistes, qui prônent un art autonome, détaché des considérations morales, le rapproche encore de Maistre. L’esthétique aurevillien du sublime a une fonction euristique : elle fonde elle-même les mystères de l’histoire, contre lesquels se brisent les efforts de la raison.
Dans son opposition aux discours et aux philosophes à système, dans son amour éperdu de la fable, Barbey ne pouvait qu’admirer Maistre, humble et juste, qui pour lui a « des aperçus sur tout et des théories sur rien ». Il dira encore de la rectitude opiniâtre de son mentor : « Maistre est un homme de force absolu, qui n’a jamais connu de volte et de contre volte ». Dieu sait si les hommages critiques aurevilliens furent rares et précieux. Significatifs.
Albertine B.
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