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vendredi, 24 avril 2009

Entretien avec Sarah Vajda

gary&co.jpgVous en vous en prenez assez vivement à Kléber Haedens pour avoir critiqué, à la parution des "Racines du ciel", la langue de Romain Gary. Selon vous, ce grand critique avait-il tort ?


Kleber Haedens,  en cette occasion,  fut considéré comme un idéaltype.  Loin de moi l'idée d'attaquer  l'homme qui collabora à des journaux nationaux, entonna le péan  de Céline et passa l'occupation à lire des poèmes !  L'exercice était d'une toute autre nature.  A partir d'une phrase scandaleuse - volontairement provocatrice -  contre Gary le styliste ou le non styliste, contre le lauréat du prix Goncourt 1956,   j'use de sa figure  comme Weber le fait du "protestant" dans son essai sur le capitalisme. Nulle attaque ad hominem ici ... Comment une telle méprise a-t-elle pu, vous n'êtes pas le premier à m'avoir reproché cet affront, exister. La prochaine fois que dans un essai je me risque à ce type d'exercice, je cite mon Weber !


La question n'était pas de savoir si «  le grand critique »  eut tort ou raison. Seulement s'interroger.  Qui est Haedens pour désirer un comité qui sauvât la langue française de Gary ? Que signifie une telle phrase ? De quoi est-elle le nom ?  Si quelqu'un,  même en causant mal le france,  offensa jamais  le cher vieux pays - car il n'existe pas de langue à l'état pur n'est-ce pas ? - ce ne fut pas Gary. De quel amour blessé, ce Français né à Vilnius  mourut aux rives où il fut attaché... tel était,  par l'efficace de la critique d'Haedens,  l'un des motifs principaux de ce Gary and co. Un angle d'attaque.  Rien de plus. Je tiens à l'histoire littéraire, à l'esthétique de la réception, à l'inscription d'un homme, d'une œuvre, d'un corpus dans un siècle et la violence sans pareille dont usa Haedens fut coup d'archet du tzigane de l'essai que vous avez eu, cher Jérôme B, l'amabilité de lire.   

Romancier français d'origine juive et né en Lituanie alors sous domination russe, adepte des pseudonymes, Romain Gary n'a-t-il pas couru toute sa vie derrière son identité ?


S'il a couru après quoi que ce soit, ce fut  après l'ombre d'un père qui donnera son nom  au  psychiatre capable de comprendre la souffrance de l'orphelin, l'enfant Momo de La Vie devant soi. Dur de grandir sans père ! Se demander,  à chaque croisement de rue,  si l'homme dont le regard parfois s'attarde sur vous ne serait pas, par hasard, votre géniteur. Quelque chose de Modiano en Gary... Dimanche d'août.

Question identité : Gary était clair, il se savait français par le sang versé... ( Barrésien hé hé et non pas Maurassien... )  Ce qui nous ramène à Haedens, à l'ombre d'un père confisquée par une mère abusive. Le secret de Gary ? La violence, l'offense que constitue l'amour exclusif d'une mère. Un nœud assez atroce que la littérature  dénouera partiellement en le recomposant toujours. Tapisserie de Pénélope à la vérité.  Gary n'a pas de problème d'identité, il est français, tel  sa mère l'a voulu, tel il demeure : «  Aucune goutte de sang français ne coule dans mes veines, mais la France coule en moi. » On ne saurait mieux dire...   Roman Kacew a quatorze ans,  quand il débarque au lycée Masséna,  sur les traces de Kessel.   La baie de Nice, la promenade des Anglais feront battre son cœur énervé d'une telle lumière après les frimas de l'hiver moscovite, des privations et de certaines humiliations dont nul jamais ne guérit tout à fait. Ensuite,  il y eut l'épopée... Le Général, la France libre et l'uniforme bleu RAF, les honneurs militaires et tout le saint Frusquin au grand vestiaire de l'épuration.  Les fantômes reviendront plus tard le hanter, à l'heure de midi, sur le bateau qui le ramène au «  trou juif » et non en Chine. Gary n'est pas Mésa aux genoux d'Ysé mais un enfant malheureux que la Littérature n'a sauvé qu'à demi qui, se retournant sur son passé,  y découvre son futur le néant, le trou des siens. Dans son cas,  la fosse où mourut son héros Gengis Cohn montrant son cul aux Boches - pas les nazis - qui l'ont fusillé, comme le fut dans la vraie vie son vrai père Kacew, dont il a refusé de porter le nom, ce trou où revient Madame Rosa dans La Vie devant soi, celui qui l'accueillera à la fin du voyage et dont il se prémunit par le suicide, interdit qu'il transgresse en vain. Pour ses biographes toujours,  comme pour Haedens,  il demeure plus juif que Français. Haedens and co l'auront un peu aidé, avouons-le ?  Plus simplement Haedens ressemble à Hubert Bonisseur de La Bath, alias OSS 117 qu'incarne ces jours-ci Jean Dujardin dans Rio ne répond plus... C'est ça la France ! Le sujet du dernier roman signé Romain Gary Les Cerfs volants où soudain, devant le départ des enfants, au revoir disait Louis Malle, l'humour soudain se met sur pause, entraînant peut-être,  du moins soutenant,  le passage à l'acte. Comment avoir tant aimé la France et soudain en mourir ? ...

Vous dressez un parallèle audacieux entre Romain Gary et John Kennedy Toole, qui avec "La Conjuration des imbéciles" a écrit à mon avis l'un des plus grands texte d'insurrection contre le monde moderne. A part qu'ils se sont tous les deux suicidés, quels points communs voyez vous entre ces deux auteurs ?


Tout aura commencé par une impression vague,  le focus ensuite  rapproché deux visages. Disons,  pour aller vite, le portrait de la mère abusive, le drame de l'enfant doué qui soudain, c'est là son rôle prescrit, déçoit ... En relisant La Conjuration des Imbéciles,  un immense roman vous avez raison Jérôme, nous découvrons l'exact négatif de La Promesse de l'aube, un jeune homme qui n'aurait pas quitté la maison maternelle à temps et se serait enfermé dans l'écriture pour soi et non pour conter des histoires. Gros et potelé, il serait devenu obèse, abusé par sa mère,  homosexuel sans doute.  Inadapté,  en tous cas. Plus amusant,  parce plus conceptuelle,  l'idée du roman total, du roman comique,  développée au fil des pages de Pour Sgnanarelle,  aboutie, continuée jusqu'au chef d'œuvre. Le dernier point commun tient au   roman du roman, l'histoire et la figure d'une mère ex comédienne, cabotine, vieille excentrique, type folle de Chaillot,  insistant pour que l'on lise le manuscrit d'un fils suicidé, y parvenant et le menant au Pulitzer posthume,  fait écho, signe à l'incroyable scène du faux Paul Poiret,  rôle tenu par un cabot à Moscou,  lors du lancement de la maison de modes de Mina à Moscou. En fait,  c'est dans La Bible de néon du même John Kennedy Toole que la familiarité de ton, la sonorité, l'accent de tristesse paraissent les plus fraternels,  unissant les deux auteurs qui ne se rencontrèrent ni ne se connurent. Là git le grand mystère.  Aucune influence. Et pourtant. Gus Lévy comme Monsieur Salomon est roi du pantalon... et une certaine Myrna,  juive d'origine russe, hystérique il va sans dire,  qui sauvera Ignatius le héros de la Conjuration des Imbéciles de l'internement s'apparente à une figure oh combien garyesque.   Myrna, (à une lettre près Mina)  l'agitée du bocal, sœur des opprimés...  Ce mystère est toute la littérature. A ce compte,  la critique du "grand critique" Haedens tombe comme un soufflé cuit à la mauvaise température, celle de la haine et de l'envie, celle qui fait flamber les crêpes en Landerneau ! Gary devient,  par ce parallèle que je vous remercie fort d'avoir noté,   un protagoniste de la littérature mondiale du XXe siècle,  ayant deviné l'avenir du roman, son rôle à tout le moins. Pourquoi Gary m'est cher à moi qui frisonne à l'instar de Monsieur Haedens, catégorie de la pensée, (Monsieur Homais, le philistin, Ubu... )  devant Corneille et Mallarmé.   

Quel rôle a joué l'actrice Jean Seberg dans la vie de Gary ?


Un rôle néfaste. Terriblement. Celui de Diane chasseresse, de Séléné, d'Hécate et ses chiens...  La part d'ombre.  Dévoilé le côté obscur de Gary, en dessous de la ceinture, le côté   qu'il aura tant moqué chez Hemingway et auquel il succombera. Un instant de plaisir... vingt ans de malheur !   Les ravages de l'amour/vanité,  suivis de la chute en terre de folie.  Pour lui un retour,  Mina,  la mère d'abord, ensuite Illona le premier amour,  internée pour schizophrénie au lendemain de la guerre, enfin cette représentation de Seberg par elle-même en  chienne blanche, tellement blanche, translucide,  des Black Panters : sujet saisi par la haine de soi, le dégoût de sa peau. Sanglot de la femelle blanche. D'une certaine manière, elle aura aimé le métèque en Gary, en Carlos Fuentes ! Tous les lecteurs de Gary devraient lire l'admirable roman de Fuentes où le grand écrivain mexicain recompose la fugitive liaison/passion qu'il entretint avec la plus misérable et la plus belle des créatures.   L'horreur absolue pour eux qui se crurent aimés pour ce qu'ils étaient, ce qu'ils écrivaient, l'amour et le plaisir qu'ils prétendaient lui donner, invalidés par la suite de sa vie,  jusqu'à  Mina l'enfant métis mort-née, exposée dans un cercueil de verre par une mère folle de douleur après s'être montrée  incapable d'arrêter neuroleptiques et  boissons,  le temps d'une grossesse. Seberg n'est qu'un rêve de Godard, de Rosen et de Garel. RIP. Sans doute une sainte saisie par la modernité, une figure tragique qui rejoindra la cohorte des morts de Gary : ceux de l'escadrille Lorraine,  le père,  les demi frères et sœurs assassinés dans les fosses communes de Lituanie. La vie n'est pas un roman rose mais une tragédie que l'auteur d'aventure se plaît à romancer. Choses qu'un Kléber Haedens ne pouvait consubstantiellement ni entendre ni comprendre. Né à Equeurdeville... aimant le Rugby, la gastronomie française et les étés sous les tilleuls. Gary n'a pas connu d'étés sous les tilleuls ou sous les ormes.  Orphelin, bâtard, émigré, « Algérien bon à rien », youpin, français libre et mari malheureux d'une démente.  Seberg a eu le visage du malheur. Avec elle,  se seront achevés un bon mariage avec une femme plus que compréhensive et la stabilité d'une carrière à l'ombre du Général. Par elle,  Gary s'en sera retourné en terres de folie, talonné  par de violents besoins d'argent et la nécessité constante  de fuir une réalité sans cesse plus sordide, plus sombre qui ne connaitra ni rédemption ni remise ni ne saurait lui apporter de gloire. Bref, un très mauvais mariage... une mauvaise affaire. Game over.

 

Propos recueillis par Jérôme Besnard

Sarah Vajda, Gary & Co, Éditions In-Folio, 2009, 23 euros.

 

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